Désœuvrement, chômage, alcoolisme : la sainte Trinité.
Tu peux tourner ça dans tous les sens, changer l'ordre des mots ou des maux, le résultat sera toujours le même. Au pays du lagon bleu infini, les hommes et les femmes ont les yeux délavés, usés. Meurtris. Le vague à l'âme pas que sur l'eau.
Bilan du week-end : un homme dans le coma après une bagarre alcoolisée à Huahine, un suicide à Papeete où l'unique issue à ta misérable vie est de te faire péter la tête et surtout à Raiatea, où deux jeunes (14 et 15 ans) se sont tués à moto (600 cm3, pas de permis, tu t'en doutes) parce que, j'imagine, il n'y a rien d'autre à faire pour eux. L'ennui absolu et l'horizon bouché font que tu quittes la vie à la sortie d'un virage entre ciel et terre avant même de souffler tes 18 printemps. L'occidentalisation de la société polynésienne fait des ravages. Ici ou là-bas on retrouve les mêmes maux, les mêmes douleurs. Puissance 10.
Que va-t-il rester ici de ces deux pauvres gamins ? "Mauna, Kealei, vous allez nous manquer", en gros titre, voilà et puis c'est tout. Quelques larmes, des fleurs, des familles brisées et puis merde, ça repart. Comment leur en vouloir au fond à ces jeunes, de faire les cons quand l'immense majeur partie du monde (politique, social), piétine tes droits ? Quand l'exemple de la réussite sociale, du pouvoir, de la valorisation de l'individu s'appelle Ronaldo, Sarkozy, Johnny, Macron, Hanouna ou tous ces baltringues de la télé-réalité, sans cervelle, sans âme sans coeur sans rien ? Quand on t'apprend tout jeune que la valeur d'un homme se mesure à la grosseur de son compte en banque ou de son réseau, de son exposition et de son pouvoir ? Quand les héros s'appellent Griezmann ou Rihanna ou je ne sais quel autre patronyme à la con, à la ramasse.
Mon père me disait sans cesse que les noms des idiots étaient écrits partout lorsque je griffonnais je ne sais quel pétroglyphe sur une surface vierge. La société du spectacle, les noms en tête d'affiche, sur les maillots, les livres, les CD, les tracts électoraux. L'immense mépris et la vulgarité d'une poignée de nantis ou de connards vampirisent le reste du monde. Des parasites que tu fais vivre en les regardant, en les adulant.
Il va falloir se cotiser et leur acheter une moto, non ?
Sinon ça va aller de mal en pis.
Sinon dans ce grand n'importe quoi, tu vas avoir droit de plus en plus à des scores de foot du type : Dallas 5 - Police 1

Soleil légèrement absent aujourd'hui, mais chaleur et odeur de tiaré.
Premier souffle de baleine aperçu au loin. Ca se précise...
Nous sommes allés faire la carte grise pour notre voiture porte-clef. Les bâtiments administratifs sont posés délicatement au coeur de la nature, parfaitement intégrés. Harmonie, symbiose et faible impact sur l'autre, sur la nature et sur la vie.
La vraie valeur des hommes se mesure aux traces qu'ils ne laisseront pas.
Intégrité, humanité et chaleur. La sainte Trinité.

Pour finir, on t'embrasse et on te laisse méditer sur cette citation de Claude Lévi-Strauss, qui, avant de faire des jeans (pfff), écrivait ces quelques lignes :

"Ce que je constate : ce sont les ravages actuels; c'est la disparation effrayante des espèces vivantes, qu'elles soient végétales ou animales; et le fait que du fait même de sa densité actuelle, l'espèce humaine vit sous une sorte de régime d'empoisonnement interne - si je puis dire - et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n'est pas un monde que j'aime".